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La rafle de 1942 : un crime contre l'humanité français
La Grande Rafle du Vel d'hiv de juillet 1942 est un crime contre l'humanité français à trois titres : l'emprisonnement abusif (séquestration arbitraire, abus d'autorité, actes de barbarie), l'enlèvement d'enfants et évidemment la persécution raciale.
Ces trois aspects et l'arrestation-même ont été exclusivement organisés et effectués par la France, même si l'extermination finale a bien été réalisée à Auschwitz-Birkenau par les Nazis. La rafle s'opère bien en zone occupée, mais aucun Allemand n'y a participé.
Après des décennies de silence, le président Chirac a brisé le tabou en 1995, déclarant que la folie criminelle de l'occupant a été « secondée » par des Français. C'est inexact, cette folie a aussi été précédée par la France - et ce point est essentiel. - : c'est à la seule initiative de la France, que 4.415 enfants ont été raflés puis déportés.
Les Nazis, à l'origine de l'opération globale dans laquelle s'inscrit la rafle, n'avaient jamais effectué une telle demande, se limitant aux 16 à 50 ans. La France est seule à l'origine de l'assassinat de masse des plus jeunes des siens (et aussi des plus âgés).
C'est précisément l'incertitude sur l'acceptation des enfants par l'Allemagne qui donne à la Grande Rafle du Vel d'hiv sa spécificité : en attendant une décision officielle allemande qui tarde à venir, il faudra bien enfermer quelque part ces enfants et leurs parents. Ce sera dans un premier temps au Velodrome d'Hiver qui donne son nom à la rafle, puis dans les camps du Loiret (Pithiviers et Beaune la Rolande) où les parents seront séparés et déportés, puis au camp de Drancy avant Auschwitz…
Uniquement des Juifs étrangers
Autre spécificité de la Grande Rafle, elle vise exclusivement des Juifs étrangers ou apatrides, au croisement des deux haines, antisémite et xénophobe, du régime de Vichy et du maréchal Pétain. Les Juifs de nationalité française ne sont pas raflés (sauf les enfants de Juifs apatrides ou étrangers qui sont nés en France et sont bien français par le droit du sol – pour pouvoir les déporter administrativement on les englobera tous sous un “statut” de circonstance : « Français à titre précaire »). Il n'y a pas eu de dénaturalisations ou déchéances de la nationalité spécifiquement pour la rafle.
Il s'agit de faire du chiffre, 24.000 Juifs sont promis par la France pour Paris et sa couronne. Pour tenter d'atteindre ce quota, on raflera non seulement les adultes et les enfants, mais aussi les femmes enceintes, les vieillards, les malades, les fous...
Des milliers de policiers, des gendarmes et; plus tard, même des douaniers, exclusivement français, sont mobilisés. Pas un Allemand. Un énorme fichier, fierté française, et une multitude de centres de rassemblement primaires sont utilisés pour cette démonstration de savoir-faire. La rafle s'opère sous un black out médiatique complet : aucun article, aucune mention radiophonique, aucune photo (sauf celle, impersonnelle, de bus, rue Nelaton).
Initialement, la rafle était prévue le 14 juillet 1942. Par crainte de remous, elle sera reportée au 16.
Des décennies de tabou et de déni
La responsabilité de la France fera l'objet d'un déni persistant. Celui-ci unit l'ancien président François Mitterrand (dont l'ami intime et financier Bousquet était le responsable numéro 1 de la rafle) et son "autorité de fait dite gouvernement de l'Etat Français"  (pour ne pas dire : La France); à Nicolas Sarkozy jurant que la France n'a jamais commis de crime contre l'humanité... ; ou Marine Le Pen reprenant l'antienne selon laquelle la « vraie » France était à Londres avec Charles De Gaulle.
Ce sont des prises de position idéologiques qui ne résistent pas aux faits. En juillet 1942, le régime de Vichy était le seul légal et légitime. Il avait été instauré par la chambre du Front Populaire qui avait confié les pleins pouvoirs à Philippe Pétain. A l'inverse, la France Libre du général De Gaulle n'avait pas même obtenu mandat du Conseil national de la résistance (qui n'est créé qu'en mai 1943).
« Ce crime a été commis en France, par la France, » tranchera le président Hollande, avant la prise de parole d'Emmanuel Macron en 2017 : « Alors oui, je redis ici, c'est bien la France qui organisa la rafle puis la déportation, et donc, pour presque tous, la mort de 13.152 personnes de confession juive. » (1)
Reste donc à admettre qu'il s'agissait d'un crime contre l'humanité (2), qu'il incluait un infanticide de masse (plus de 4.000 enfants assassinés), et que la cible juive était également étrangère.
Denis B.
(1) A rebours de ces prises de position, Laurent Joly dans La rafle du Vel d'hiv, considère qu' « il y a une fixation un peu malsaine sur les responsabilités de la France – l'occupant nazi et l'entreprise génocidaire » disparaissant des allocutions de 2012 et 2017... Certes, la demande initiale et sa finalité sont allemandes mais il n'empêche que la rafle du Vel d'hiv et ses suites jusqu'aux déportations sont 100% françaises. Pour Serge Klarsfeld, c'est la notion de complicité qui est à retenir, mais elle s'étend au génocide : "Là, c'est un assassinat qui n'a pas eu lieu en France mais le simple fait de livrer ces milliers d'enfants à l'occupant nazi, et de les livrer en les séparant ensuite de leurs parents et en les déportant isolément dans une affreuse détresse, c'est pour la France de Vichy une complicité de crime contre l'humanité et de génocide ."
(2) En 1981, Le Canard enchaîné révèle que Maurice Papon, ministre du budget et commandeur de la Légion d'honneur a directement supervisé, entre 1942 et 1944, la déportation de près de 1.700 Juifs quand il était secrétaire général de la préfecture de la Gironde. En 1998, il est condamné pour complicité de crimes contre l'humanité. Est-ce l'absence de procès suite aux décès de Leguay (de sa belle mort) et Bousquet (assassiné) qui fait que la rafle du Vel d'hiv n'est pas communément reconnue comme un crime contre l'humanité ?
Manifestation commémorative du 16 juillet 1956 devant le Vel d'Hiv. Photo DR
« On n'imaginait pas qu'on allait arrêter les femmes, les enfants, les vieillards, les bébés, les grabataires ! » Témoignage complet d'Annette, Michel et Henri Muller, victimes de la Grande Rafle du Vel d'hiv du 16 juillet 1942, finalement sauvés, grâce à l'intervention de leur père et d'une religieuse de la rue du Bac (VIIè). La mère des enfants Muller, raflée également au Vel d'hiv, sera assassinée à Auschwitz-Birkenau, comme l'immense majorité des victimes de la rafle. Entretien réalisé le 8 juin 2010.
Seule contre tous les silences, Annette Muller (voir vidéo ci-dessus) témoigne dès 1976 avec « La petite fille du Vel d'hiv » qui ne trouve un éditeur... qu'en 1991, et seulement pour sa première partie. Peu avant, Eric Conan avait réussi à susciter un début d'intérêt avec son "Enquête sur un crime oublié" dans l'Express, évoquant pour la première fois les enfants des camps du Loiret, « un cauchemar au-delà de toute expression ».
En 1992, Michel Muller, le frère d'Annette, produit « Les enfants du Vel d'hiv » réalisé par Maurice Frydland, un excellent documentaire à la fois subjectif et objectif, avec les quatre enfants Muller... Ce document est maudit jusqu'à ce jour du point de vue de la diffusion. Inlassable témoin, Michel Muller essaie de faire comprendre « ce qu'il risque de se passer à partir du moment où on méprise l'autre, c'est-à-dire l'immigré qui ne parle pas le français, qui a une autre façon de vivre... Pour moi, c'est très important parce que ça peut recommencer dès demain. »
Photo DR.
Sempiternels « indésirables »
Pierre Laval et Adolf Hitler, des relations de confiance. Limogé par Pétain en décembre 1940, Laval revient comme chef de gouvernement (sur arbitrage nazi) en avril 1942. C'est lui qui est à l'origine de la déportation des enfants « dans un souci d'humanité »... (hypocritement : pour ne pas qu'ils soient séparés de leurs parents.) Fin août 1942, le chargé d'affaires américain à Vichy proteste contre la déportation des Juifs étrangers vers l'Est. Après lui avoir demandé ironiquement si les USA accepteraient ces Juifs, Laval, chef du gouvernement, explique « que les hommes, les femmes et les enfants, livrés aux Allemands étaient des « indésirables », qui se consacraient au marché noir, à la propagande gaulliste ou communiste. » (Extrait de La grande rafle du Vel d'hiv).
Photo DR
L'histoire par les témoignages
« Silence ! Pas un mot ! Pas un mouvement! »
«  Nous entendons une voisine hurler en yiddish que les policiers sont chez elle et c'est ainsi que nous apprenons que les inspecteurs sont chez elle et qu'elle est embarquée. Immédiatement, Maman ferme la fenêtre, ferme la porte d'entrée de l'appartement et nous retranche, sa sœur, ma sœur, et moi dans la chambre suivante qui était la chambre à coucher. Et, s'adressant à nous, elle nous dit en yiddish (je l'ai encore dans l'oreille) : « ils ont eu mon mari [NDR lors de la rafle du billet vert en 1941] ; nous, s'ils nous veulent, ce sera morts, ici. Silence ! Pas un mot ! Pas un mouvement! » Et nous allons rester ainsi, bloqués dans notre appartement, pendant approximativement deux semaines. Avec des retours des policiers, pendant presqu'une semaine. » Témoignage de Samuel, 12 ans lors de la rafle.
« Comme à l'abattoir »
«  Et c'est à ce moment-là que ma mère a dit  : « notre fille est née en France, c'est une Française, vous n'avez pas le droit de la déporter. » Et c'est à ce moment-là, qu'il [le policier] a dit : « on ne sépare pas les enfants des familles. Nous, on a du cœur! » (…/...) Les gens faisaient la queue, sans dire un mot, comme des animaux à l'abattoir. Mon père était mort avant d'être mort : il ne pouvait pas imaginer que la France le tromperait, ça c'était pas possible... C'était pas possible, il n'a pas compris. » Témoignage d'Agnès, 10 ans lors de la rafle, dont le père s'était engagé en 1939.
« Des arrestations applaudies »
«  Tous les Juifs du quartier, enfin une grosse partie, étaient en rangs d'oignons encadrés par la gendarmerie, et on allait vers le commissariat du XIè, avenue Parmentier. Et c'est là que je dis « c'est quand même terrible », parce que on passe dans les rues et il y avait des gens qui applaudissaient. Moi, je me disais : « ils applaudissent pour nous » mais ils applaudissaient parce qu'on arrêtait des Juifs.(.../...) Au commissariat du XIè, on était enfermés là-dedans, on étouffait. Ma mère me portait en l'air parce que ça rentrait sans arrêt, sans arrêt, jusqu'à ce que les bus arrivent devant le commissariat pour qu'on puisse sortir et enfin s'installer dans les bus. Au Vel d'hiv, on nous fait descendre. Toujours la gendarmerie bien sûr, il n'y avait pas un policier allemand. Et puis on nous dit: « éh bien vous, vous montez, essayez de trouver de la place où vous voulez. » Témoignage de Bernard, 4 ans lors de la rafle.
« Le souffle coupé »
«  En rentrant, tu as d'abord le souffle coupé par l'atmosphère empuantée et tu te trouves dans ce grand vélodrome noir de gens entassés les uns contre les autres, certains avec de gros ballots sales, d'autres avec rien du tout. Ils ont à peu près un mètre carré d'espace quand ils sont couchés. Les quelques WC qu'il y a au Vel d'hiv (tu sais combien ils sont peu nombreux) sont bouchés. Personne pour les remettre en état. Tout le monde fait ses déjections le long des murs (…/...) je n'ai vu que deux bouches d'eau auxquelles on a adapté un tuyau en caoutchouc. Inutile de te dire la bousculade. Résultat, les gens ne boivent pas, ne se lavent pas (…/....) Tuberculose, rougeole, varicelle, fièvre typhoïde, diphtérie, méningite, sont en train de se propager, et les docteurs prévoient des épidémies terribles (…/...) L'esprit des gens ? … Hurlements d'hystériques (et tu ne peux t'imaginer combien il y en a) (…/...) Ils se précipitent sur nous : « Tuez-nous mais ne nous laissez pas ici », « Une mitrailleuse et que nos malheurs soient finis » ; à l'infirmerie : « Une piqûre pour mourir... je vous en supplie. » Et tant d'autres.... Et tant d'autres.... Pas un seul Allemand. Ils ont raison : ils se feraient écharper. Quels lâches de faire faire leur sale besogne par des Français. Ce sont des gardes mobiles et des jeunes des Centres de jeunesse qui font le service d'ordre. » Témoignage d'une assistante sociale (également repris par tract, témoignage d'un « requis ».)
Devoir son salut à une giffle
« Quand on a huit ans, qu'on voit des hommes en armes qui hurlent, des enfants qui pleurent, on sent la peur... Je n'ai pas voulu lâcher ma mère. Alors, je me suis agrippée fortement à sa robe en hurlant « je ne veux pas te quitter ! » Alors, elle a fait quelque chose que je ne pouvais pas raconter auparavant sans pleurer, elle m'a gifflée violemment. La seule giffle de ma vie. Je l'ai lâchée, surprise, et c'est plus tard que j'ai compris que cette giffle m'a sauvé la vie. » Ainsi ramenée aux réalités par sa mère, Rachel Jedinak a pu s'échapper par l'issue de secours du Vel d'hiv le 16 juillet 1942.
Tomber en enfer
«  J'ai eu l'impression de tomber en enfer, c'est la première impression que j'ai ressentie (…/...) Il y avait des malades, il y avait des vieillards, il y avait des gens qui avaient soif. Nous avons essayé de réconforter. En fait, on n'a pas pu faire grand'chose parce qu'on n'avait aucun moyen. » Gisèle Godlewski est une infirmière qui, avec deux médecins, intervient sur les cancéreux à tous les stades, les victimes de crise cardiaque, les grands blessés (tentatives de suicide) et contagieux isolés.
A coups de matraque
« Il y avait toute une rangée de policiers, derrière des barrières métalliques et de l'autre côté, une foule de gens, surtout des hommes, qui se pressaient. Les policiers coupaient le pain et le jetaient à la foule, vous savez comme quand on jette un os ou je-ne-sais quoi, je n'ose pas comparer à des animaux affamés. Les hommes se battaient à qui attraperait un morceau de pain ; il n'y avait presque pas de femmes parce que les femmes étaient restées à l'intérieur avec les enfants (…/...) Et les policiers pour que les hommes reculent, ne bousculent plus ces barrières qui risquaient de se renverser sur eux, ont sorti leur matraque et ont commencé à matraquer cette foule qui se battait pour un morceau de pain, pas pour eux, mais pour porter à leur femme et à leurs enfants. » Charlotte Schapira, 16 ans lors de la rafle, scène à l'entrée du Vel d'hiv. Le même témoignage en vidéo
Une révolte... manquée
«  Le soir-même, nous étions transférés au Vélodrome d'Hiver Le régime y était sévère et inhumain. Tous étaient couchés sur le sol, on devait faire ses besoins sur place. L'épidémie a éclaté, surtout parmi les enfants. Trois jours après, nous nous sommes organisés et nous avons décidé de faire quelque chose pour modifier la terrible situation, et même attaquer la sortie pour nous libérer, quelle que soit l'issue... Nous avons décidé d'envoyer les enfants chanter la Marseillaise, puis les femmes, et lorsque les policiers les repousseraient, les hommes se jetteraient sur eux et advienne que pourra ! Une telle vie était de toute manière insupportable. Il semble que l'Administration apprit notre projet. A 6 heures du matin, une partie des internés fut envoyée à Pithiviers et une autre à Beaune-la-Rolande. Ils furent mis dans des wagons à bestiaux plombés, comme du bétail, et fortement gardés par la police. » Témoignage de la Grande Rafle dans « 250 combattants de la résistance témoignent ».
Folie, suicides, avortements
«  C’est bien plus tard que j’ai compris que les femmes enceintes essayaient de s’avorter dans l’espoir d’être hospitalisées et de se sauver. J’avais huit ans. J’ai vu des choses qu’une enfant de cet âge n’aurait jamais dû voir  : des femmes qui accouchaient, d’autres qui faisaient une fausse-couche, des gens qui devenaient fous et se jetaient des gradins les plus hauts pour se suicider. Ensuite ont été affichées des listes de noms pour préparer des convois à destination de divers camps  : Drancy, Pithiviers, Beaune-la-Rolande. C’est là que nous avons été conduites, dans le Loiret. Le train est parti de la gare d’Austerlitz (depuis ce temps, je n’aime pas cette gare). Sur le quai, la distribution de nourriture consistait en un bidon de lait par wagon et une boîte de sardines (…/...) Dans les wagons, il faisait très chaud et nous n’avions que la petite lucarne grillagée pour respirer. Les plus grands portaient les plus petits pour leur faire respirer un peu d’air frais. » Arlette, 8 ans à l'époque de la rafle. Voir également son témoignage sur le site du CRIF : « Chaque année, je me sens coupable d’être sortie vivante de cette enfer à 8 ans. Chaque année, je pleure Serge, Lazard, Régine et tous les autres petits qui sont partis en fumée parce que nés Juif. »
Pas un seul Allemand
Léon reprend : "Ils nous ont emmenés au Vélodrome pour nous envoyer aux camps de la mort. Tu sais cela? Mon papa et ma maman ont été brûlés, brûlés à Auschwitz, réduits en poussière. Voilà ce que des Français ont fait en plein Paris… Je me demande toujours comment, après les événements, ces policiers n’ont pas démissionné. Tu vois, ils ont arrêté des femmes avec des bébés…" (…/...) Hélène : "On était entassés sur des gradins. Les toilettes étaient bouchées. Il y avait une puanteur et une chaleur terribles sous la verrière du Vélodrome. On avait tous faim et soif. Les femmes pleuraient, les enfants criaient. Je restais collée à ma mère…" Hélène soupire : "C’était des policiers français, je n’ai pas vu un seul Allemand." (…/...) Sa mère et elle sont ensuite transférées au camp de Beaune-la-Rolande (Loiret) : des miradors, des chiens de garde, et "toujours la police française". C’est là-bas qu’a lieu la séparation. "Un gendarme tirait ma mère d’un côté, un deuxième me tirait de l’autre. Ils ont pris un jet d’eau pour nous faire lâcher. Je hurlais et je pleurais. Ma mère faisait de même. C’est la dernière image que j’ai d’elle, cet arrachement. » (…/...) « Il ne restait plus que les enfants dans le camp. Pendant deux-trois semaines, nous avons été livrés à nous-mêmes. On nous a emmenés à Drancy. Nous essayions de nous occuper des plus petits, ceux qui avaient 3 ou 4 ans. Tous marinaient dans le caca, le pipi, couverts de gale et de poux. » Témoignages de Léon Fellmann et Hélène Wajcman-Zytnicki.
Enfants arrachés de force
« Le plus terrible des départs est celui du 2 août 42 : on sépare les parents des enfants. Ces derniers doivent rester au camp. On se représente ce que cela signifie lorsqu'on sait qu'il y en avait 1.200. Seuls les enfants au dessus de 15 ans peuvent accompagner leur famille. Scènes abominables. On arrache de force les enfants aux parents. » Dr Adelaïde Hautval, Pithiviers, dans Sans oublier les enfants de Eric Conan.
La séparation des mères et des enfants
«  Maman est sur la liste. Je me blottis toute la nuit contre maman, je voudrais arrêter le temps. (…/...) Nous sommes parmi les plus grandes, ma sœur et moi, c'est épouvantable. Les enfants s'accrochent aux robes des mères. Les gendarmes veulent absolument que les mères se mettent deux par deux. (…/...) Et ils s'énervent. (…/...) Nous allons passer je ne sais pas combien d'heures, de temps, de chaque côté des barbelés. Les mères d'un côté, tous les enfants de l'autre, sous le soleil, toute la journée. (…/...) Et puis après, on est rentré dans la baraque. (…/...) Il n'y avait plus que des gosses dans la baraque. (…/...) On ne connaissait pas leur nom alors il y avait Riri, y avait Bébert, y avait Dédé. Aucun n'avait le bracelet avec un nom. On ne les avait pas marqués. Et ils étaient furieux parce qu'ils avaient l'impression que leurs mères les avait abandonnés. Alors ils pleuraient et criaient. (…/...) Ensuite (…/...) les enfants étaient devenus ce que j'appelais après, quand j'ai fait médecine, des enfants autistes. Ils ne riaient plus. Ils ne souriaient plus. Ils ne pleuraient plus. Ils étaient enfermés complètement dans leur douleur. » Témoignage de Annette Krajcer, alors âgée de 13 ans, dans La rafle du Vel d'hiv de Laurent Joly. Sur la violence des gendarmes français (« à coups de crosses »), voir la vidéo en tête de page de la fratrie Muller à 37'22.
Des cris qui portent loin
« Cela s'entendait d'ici (maison située à plusieurs centaines de mètres du camp). Des cris, des cris qu'on se demandait ce que c'était. Plus tard les douaniers ont raconté dans le village que c'était les mères qu'on avait séparées des enfants... » Sans oublier les enfants.
Un état indescriptible
«  Je n'ai jamais tant travaillé de ma vie, jour et nuit, sans m'arrêter. Je voyais des enfants arriver dans un état indescriptible. C'était terrible, impossible à raconter. J'éprouvais une immense pitié, sans rien pouvoir faire ». Témoignage du Dr Henri Russak dans Sans oublier les enfants (Eric Conan)
En wagons à bestiaux
« Je me trouve en ce moment dans un wagon à bestiaux et nous roulons vers un but inconnu. Votre petite sœur est restée à Beaune et vous pouvez vous douter de ma peine d'être séparée à présent de mes trois enfants. Nous avons été traités avec une brutalité telle qu'on ne l'emploie pas chez les animaux. Les conditions dans notre wagon sont effroyables et probablement le voyage sera long et se dirigera vers l'Allemagne ou la Pologne (...) » Lettre de Raymonde Knych, jetée d'un wagon.
Les enfants chantaient
« Un matin, vers 6 heures peut-être, on s'est réveillés et on a poussé les volets, parce qu'on entendait chanter : plein d'enfants chantaient. On a appris après que c'était parce qu'on leur avait dit qu'ils allaient retrouver leurs parents. Ils étaient en rang par deux, les petits se tenaient par la main. » Témoignage de Jacques Leroy et son épouse, voisins du chemin de la gare de Beaune-la-Rolande – dans Sans oublier les enfants, de Eric Conan.
Un camp sanguinolent
«  Quand nous arrivons à Beaune-la-Rolande, donc fin 42, le camp est vide. Il donc été vidé, nous le saurons après, de tous ces enfants que j'ai vu passer à Drancy. Ce sont les fameux enfants du Vel d'hiv. (…/...) Et quand nous arrivons dans ce camp, il est dans un état de saleté épouvantable, mais c'est une saleté qui est spécialement sinistre parce que je dirais qu'elle est sanguinolente. Les enfants, là, ils ont été blessés et il y a du sang partout : c'est le sang de ces enfants. Il y a des couvertures tachées de sang. Tout est taché de sang. (…/...) Maman et Madelon [travaillaient] tous les jours à laver ces couvertures tachées de sang... à l'eau froide, bien sûr. C'était un travail quasiment impossible. Elles passaient leurs journées entières à frotter le sang sur ces couvertures. » Francine Christophe, témoignage dans « La Terre amoureuse »
A Drancy, vêtements et matelas souillés
« Les enfants se trouvaient par cent dans les chambrées. On leur mettait des seaux hygiéniques sur le palier, puisque nombre d'entre eux ne pouvaient descendre le long et incommode escalier pour aller aux cabinets. Les petits, incapables d'aller tout seuls, attendaient avec désespoir l'aide d'une femme volontaire ou d'un autre enfant. C'était l'époque de la soupe aux choux à Drancy. Cette soupe n'était pas mauvaise, mais nullement adaptée aux estomacs enfantins. Très rapidement, tous les enfants souffrirent d'une terrible diarrhée. Ils salissaient leurs vêtements, ils salissaient les matelas sur lesquels ils passaient jour et nuit. Faute de savon, on rinçait le linge sale à l'eau froide et l'enfant, presque nu, attendait que son linge fût séché. Quelques heures après un nouvel accident, tout était à recommencer. [...]. Chaque nuit, de l'autre côté du camp, on entendait sans interruption les pleurs des enfants désespérés et, de temps en temps, les appels et les cris aigus des enfants qui ne se possédaient plus. » Georges Wellers, L'Étoile jaune à l'heure de Vichy
Enfants juifs à Drancy, propagande allemande 1942. DR
L'extermination
« Il va sans dire qu'une grande partie d'entre eux s'éliminera tout naturellement par son état de déficience physique. Le résidu qui subsisterait en fin de compte, - et qu'il faut considérer comme la partie la plus résistante – devra être traité en conséquence » - Procès verbal de la réunion nazie du 20 janvier 1942, à Wannsee, mettant au point la « Solution finale ».
Imaginer l'inimaginable
Il n'y a pas de photos, de films, de documents sonores d'époque. Le film « La Rafle » de 2010 (voir page 3) est au mieux une fiction commerciale sans rapport au réel... Il faut donc imaginer. Le rabbin Daniel Farhi invite à l'exercice :
«  je demande d'essayer d'imaginer un instant, rien qu'un instant, ce qui peut passer dans la tête et le cœur de quelqu'un qui, rentrant le soir de son travail, découvre que son père, sa mère, son petit frère, sa petite sœur ont disparu de chez eux ; lorsqu'il apprend qu'ils ont été parqués dans un sinistre Vel' d'Hiv', ou à Drancy, Beaune-la-Rolande, Pithiviers, sans hygiène, sans nourriture, sans boisson, puis transportés dans des wagons à bestiaux pendant trois, quatre ou cinq jours vers la Pologne, puis déchargés brutalement sur une rampe comme du bétail, sélectionnés vers l'esclavage ou vers la mort (c'était pareil), gazés et incinérés. (…/...) qu'ils essayent d'imaginer le désespoir d'un père ne pouvant rien pour garder auprès de lui ceux qui lui sont le plus cher au monde ; qu'ils essayent encore d'imaginer l'enfer quotidien de ceux qui, n'ayant pas été liquidés à l'arrivée, furent numérotés, chosifiés, néantifiés. » Au dernier survivant : Paroles sur la Shoah.
L'impossible oubli
“Les policiers français - «ce jour-là, je n’ai vu aucun Allemand» , insiste Sarah – les policiers ne répondent pas aux questions. Ils répètent juste que le but de la rafle est d’envoyer des travailleurs dans les camps en Allemagne. Vers 17 heures, Sarah voit arriver des personnes handicapées, grabataires ou malades, certains en fauteuil ou sur des brancards. Sa mère comprend qu’on leur a menti. «Elle m’a dit : "Ce n’est pas pour travailler, ces gens-là ne peuvent pas travailler. Il faut se sauver."» (…/...) «On fait semblant d’être normaux, mais on ne l’est pas, même soixante-dix ans après. Toute notre vie se déroule en confrontation avec celle des camps. » Sarah Lichtsztejn-Montard, rescapée du Vel d'hiv; 14 ans lors de la rafle.
Paul R
Chronologie d'un massacre
Après la Défaite, la France est divisée en deux : une Zone occupée par les Allemands (au Nord et sur la façade atlantique) et une Zone non occupée (ou « libre ») sous l'autorité du Régime de Vichy, incarné par le Maréchal Philippe Pétain qui détient les pleins pouvoirs et, à partir de 1942, Laval, l'omnipotent chef de gouvernement (également ministre des Affaires étrangères et de la Propagande). Si les rafles de Juifs ont commencé dès 1941, 1942 marque le début des déportations vers les camps de concentration et d'extermination (le premier convoi part le 27 mars de Compiègne).
Une rafle sur négociation
Au début de l'été 1942, une très grande rafle sur Paris et sa couronne, et dans les camps de Zone libre, est négociée entre Vichy et le Reich. Ce sera la plus grande d'Europe de l'Ouest. Ces négociations sont menées par Bousquet, chef de la police, et Leguay, son adjoint en Zone occupée, sous l'autorité de Laval. Les Allemands demandent tout d'abord le chiffre extravagant du point de vue de la logistique, de 100.000 Juifs. Le but final à atteindre sera de 40.000 en tout, entre la Zone occupée et la Zone libre. Ne seront concernés que les Juifs apatrides ou étrangers.
Des résultats décevants
L'objectif en Région parisienne est réhaussé de 22.000 à 24.000 arrestations, sur 27.400 individus fichés en âge de travailler. C'est très optimiste. Et effectivement, les résultats sont très mauvais. 13.152 Juifs en tout et pour tout sont raflés du 16 au 21 juillet 1942, surtout les deux premiers jours, ce qui inclut plus de 4.000 enfants exclus normalement de la déportation. Soit 9.000 Juifs déportables seulement, et même moins encore car on n'a pas hésité à arrêter des catégories non prévues comme les personnes âgées, intransportables, ou figurant dans les exceptions voulues par Vichy lui-même.
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Les enfants pour faire du chiffre
Les Juifs arrêtés sont d'abord conduits dans des centres primaires pour examen de leur situation et premier tri. Les adultes sans enfants (3.000 femmes et un peu moins de 2.000 hommes) sont immédiatement transférés au camp de Drancy, pour déportation. Les familles ou mères isolées avec enfant(s) (2.900 femmes et 1.100 hommes) sont conduites au Velodrome d'Hiver puisqu'il y a incertitude sur la possibilité de déporter les 4.115 enfants en Allemagne. En déportant les enfants, le résultat de la rafle serait un peu moins mauvais. C'est Vichy qui demande cette déportation. « Prénommés Roger, Régine, Claude etc, ces enfants « déclarés » sont de véritables Français, d'authentiques Parisiens », écrit Laurent Joly dans La rafle du Vel d'hiv, citant un journaliste pourtant xénophobe : ces enfants « deviennent à l'école communale laïque de vrais petits Français », qui ne « connaissent que leur pays d'adoption... et leurs ancêtres les Gaulois. » Il n'empêche, dès le 10 juillet, Pierre Laval se glorifiait à Vichy d'avoir « dans un souci d'humanité », convaincu les Allemands de « prendre » aussi les enfants (alors qu'ils sont Français à 80%). « Laval a donc opté pour la fiction d'une déportation « familiale » et créé une situation sans issue pour les enfants du Vel d'hiv, » écrit Laurent Joly.
Gazés dès l'arrivée
Après trois à cinq jours, le Vel d'hiv est vidé au profit des deux camps du Loiret : Beaune-la-Rolande et Pithiviers, gardés chacun par 125 gendarmes (plus cinquante douaniers et des gardiens auxiliaires). Là, les hommes, puis les femmes, sont séparés puis déportés. Restent les enfants... La réponse allemande pour leur déportation ne sera officiellement positive qu'au 13 août, par télégramme de Berlin. Les petits internés du Loiret sont alors transférés à Drancy ; et les déportations d'enfants pour Auschwitz commencent. Ils complètent par centaines des wagons d'adultes, les Allemands ne voulant pas de convois exclusivement d'enfants. Nul doute sur le destin des plus petits, ils ne sont pas en âge d'être sélectionnés pour le travail et sont gazés à leur arrivée. Initialement, et jusqu'au 17 juillet au moins, ces enfants devaient officiellement être placés en foyer, en France…
Un déporté sur six
En tout 5.919 femmes, 4.115 enfants et 3.118 hommes ont été arrêtés, et pour l'essentiel déportés et exterminés à Auschwitz. Une centaine d'adultes reviendra et quelques rares adolescents. 4.500 policiers ont procédé à la rafle du Vel d'hiv à Paris. Elle représente plus du quart des 42 000 Juifs envoyés de France à Auschwitz en 1942 et un sixième de toutes les déportations. « Ce sont les Français qui ont pris l'initiative de rafler les enfants et de les expédier à Drancy, et c'est le chef de la police française en zone occupée, Jean Leguay, qui les a affectés aux divers convois en partance pour Auschwitz ; les Allemands ont établi le calendrier, mais c'est la police française, en accord avec les SS, qui décide de la composition des convois. » Michael R. Marrus, Vichy et les enfants juifs
Denis B.
Opération démagogie
L'étonnant discours de Caen de Nicolas Sarkozy en 2007 rappelant le sort très douloureux des harkis et des rapatriés, mais oubliant que la France a inventé la Terreur et enfanté le pétainisme... tout en affirmant que “la France n'a pas commis de crime contre l'humanité.”... (En matière de génocide, sans remonter aux guerres vendéennes ou poser la question d'une complicité ou d'une passivité coupables au Rwanda, il faudrait demander leur avis aux Bamilékés du Cameroun... mais c'est une autre histoire .)
Qui ne veut pas regarder son histoire se condamne à la répéter,
dit l'adage. Et le contexte actuel est critique. Pour citer Amnesty International : “Que ce soit pour fuir un conflit, des persécutions, la faim, la pauvreté ou les conséquences du changement climatique, des milliers de femmes, d’hommes et d’enfants sont contraints chaque année de quitter leur pays pour ne pas mourir.” Que faire de ces nouveaux « indésirables »? Les repousser, les enfermer, les expulser? Les laisser se noyer ? Les faire s'entasser dans des camps dépourvus de tout au Sahara ? Avec quels risques d'escalade, de dérapage, de dénaturation des valeurs républicaines, humanistes sinon humanitaires ? Vidéo DR.
Les juifs les plus isolés
Il y a un antagonisme de condition entre Juifs disposant de la nationalité française et Juifs étrangers : d'un côté, des familles présentes depuis des générations (avec des fonctionnaires, professions intellectuelles ou libérales, ou des commerçants installés), de l'autre des familles très modestes d'immigration récente, exerçant de « petits » métiers manuels souvent à façon (tailleurs, fourreurs, maroquiniers, bottiers, cordonniers, fripiers, vendeurs sur étal...) venues de Pologne et d'Europe de l'Est. S'y ajoute une barrière linguistique entre ceux qui parlent bien français et ceux qui le parlent mal, avec un fort accent, ou pas du tout. La notion de communauté juive française, dans son ensemble, est postérieure à la Shoah.
SOMMAIRE
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