Il n'existe qu'une seule photo reconnue de la rafle de 1942, . .
celle de bus anonymes garés rue Nélaton (les autres sans doute en réalité la toute fin de la rafle de 1940). Plusieurs raisons expliquent cela, tout d'abord l'interdiction faite de photographier dans le Vélodrome d'Hiver et la volonté de limiter les témoins (d'où, en partie, l'insuffisance médicale au Vel d'hiv puis dans le Loiret) ; ensuite le caractère très matinal de l'opération et le fait que Paris est en partie déserté (hommes en camps de prisonniers, vacances de juillet) ; enfin la honte de toute l'opération : il n'y aura même pas d'article dans la presse collabo.
On craint l'opinion publique, ce qui a déjà fait retarder l'opération du 14 juillet, symbole de résistance, au 16. Depuis l'obligation de porter l'Etoile jaune, la conscience de la persécution juive a commencer à poindre dans l'opinion.
Un rapport des Renseignements généraux du lendemain de la rafle rapporte que même chez les antisémites, on considère que « la façon dont on agit avec eux [NDR : les Juifs étrangers] relève de la pire barbarie ». (Que sais-je?) Au deuxième jour de l'internement, un rapport de la Préfecture de Police confirme que « bien que la population française soit dans son ensemble et d'une manière générale assez antisémite, elle ne juge pas moins sévèrement ces mesures qu'elle qualifie d'inhumaines. ».Le tout est confirmé par un rapport du SS Röthke du 18 juillet : « la population française a exprimé, dans des cas répétés, sa pitié à l'égard des Juifs arrêtés et ses regrets, en particulier à l'égard des enfants. ».
La célèbre photo du ghetto de Varsovie. Rien de similaire pour la rafle du Vel d'hiv, malgré l'ampleur de l'opération et ses quatre lieux successifs (centres de rassemblement, Vel d'hiv, camps du Loiret, Drancy). Les journalistes étaient très intéressés pour traiter le sujet, peut-être ont-ils pris des photos, ou bien les photographes de quartier, ou encore les amateurs ? Mystère, mais quelque part, il doit exister des photos.
« Il est tout à fait certain que des consignes strictes ont été données aux journaux pour qu'ils fassent silence sur la rafle », écrit Maurice Rajsfus dans son « Que-sais-je », citant une note du SS Röthke du 18 juillet : « à plusieurs reprises, la presse française a fait dès le 16 juillet 1942, des démarches auprès du service de la propagande et a exprimé le souhait de rendre compte de la rafle. On a fait savoir, au service de la propagande, que pour l'instant – jusqu'à nouvel ordre – il fallait s'abstenir de tout article de presse relatant l'action. » Le silence sera effectivement de règle, et les références, même à mots couverts, resteront peu nombreuses. Si des photos ont été prises, et il y a pu y en avoir, elles ne sont pas parvenues jusqu'à nous. .
Seule photo de la Grande Rafle authentifiée : des autobus anonymes alignés rue Nélaton. Un cycliste, un policier sur le trottoir de gauche, des gens sur le trottoir de droite. Rien ne traduit l'immense clameur permanente qui empêchait les riverains de dormir.
A noter tout de même, quelques bribes transpercèrent, souvent déformées ou partielles. Le Pilori, journal collabo, évoque brièvement la rafle le 23 juillet, mais pour se plaindre de la réquisition de Centres de jeunesse pour nettoyer le « Palais des Sports [Vel d'hiv], boulevard de Grenelle, où se trouvent parqués des milliers de Juifs » : un « odieux servage » pour ces jeunes...
Une église encore discrète
L'église catholique française proteste auprès du maréchal Pétain le 25 juillet, par la voix du cardinal Suhard...(Voir l'article Zemmour p.2)
L'église réformée, elle, fait entendre sa voix plus énergiquement au cours de l'été 42 : le pasteur Boegner, président de la Fédération protestante de France, proteste auprès du Maréchal, comme il le fera aussi directement auprès de Laval, lors d'une rencontre « particulièrement orageuse ». Surtout, il est le premier dirigeant religieux français de premier plan à condamner, clairement et officiellement, systématiquement, la législation antisémite du régime de Vichy. Et il le fait savoir par tous moyens, en toute occasion (en 1940, il avait pris la tête de la CIMADE, qui existe
toujours
. et vient en aide aux réfugiés et internés).
« Grâce à lui, des communautés protestantes cachèrent des milliers de Juifs, surtout à Lyon, au Chambon sur Lignon et dans les départements de l'Ardèche, la Lozère, le Gard, l'Aveyron, la Drôme et le Tarn. Beaucoup d'autres Juifs réussirent à passer clandestinement en Suisse avec l'aide de pasteurs protestants, » rapporte Yad Vashem France..

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Le pasteur Boegner, président de la Fédération protestante de France, Grâce à lui, des milliers de Juifs furent cachés et sauvés. Le 9 septembre 1942, il
rencontre
Laval au sujet des enfants. Le chef du gouvernement lui répond que les enfants ne doivent pas être séparés de leurs parents. « Pas un ne doit rester en France ». L'UGIF (Union générale des israélites de France, créée par Vichy) insiste également... en vain. Dans son refus de sauver les enfants, Laval ira jusqu'à imposer une « authentification du statut d'orphelin » (comment l'établir avec des parents partis pour « une destination inconnue » ?) les empêchant d'émigrer pour rejoindre les USA ou la république Dominicaine..
En 1942, l'église protestante a déjà proposé de nombreuses fois aux catholiques une démarche commune. En vain. D'autant qu'« au Vatican, c'était, et cela restera, le silence, » comme le note La Grande Rafle du Vel d'hiv. Un silence sur toute l'Extermination... qui pèse encore en grande partie, même si l'Eglise catholique française a fait depuis un mea culpa très explicite, reconnaissant notamment qu'elle a été le terreau de la haîne du Juif: Mgr Olivier de Béranger reconnaîtra devant le Mémorial du camp de Drancy, en 1997, que « c'est un fait bien attesté que pendant des siècles a prévalu dans le peuple chrétien, jusqu'au concile Vatican II, une tradition d'anti-judaïsme marquant à des niveaux divers la doctrine et l'enseignement chrétien, la théologie et l'apologétique [NDR : la justification argumentative], la prédication et la liturgie. Sur ce terreau a fleuri la plante vénéneuse de la haine des Juifs. » En 2003, finalement, le Vatican fera son
examen de conscience.
A Londres, l'émission de radio de la France Libre « Les Français parlent aux Français » est une exception à noter. Dans les jours suivant la rafle, elle diffuse un rapport arrivé de France : « les 16 et 17 juillet, à Paris, un véritable pogrom contre les Juifs a eu lieu (…/...) Les autorités occupantes ont cru nécessaire de rester complètement dans l'ombre. Ce sont des policiers français, en civil et en uniforme, des gendarmes, parfois secondés par des membres des organisations doriotistes, qui furent chargés de cette triste besogne. » Le 6 août, nouvelle émission présentant jusqu'à la séparation des femmes et des enfants à Beaune-la-Rolande: « c'est la première fois que les horreurs des pogroms sont sciemment organisées en France (…/...) – c'est la déportation, pour où? On ne sait pas (…/...) – On sépare les mères et les enfants (…/...) Des familles entières se suicident, d'autres meurent de faim dans les camps, c'est immonde ».
Du côté de la résistance, la Croix (publiée à Lyon) a été parmi les premiers à réagir, rendant compte dès le 18 juillet 1942 qu'« on a parqué les hommes d'un côté en attendant leur déportation. Les femmes de l'autre. Scènes poignantes au moment de la séparation des familles. » L'Humanité clandestine d'août/septembre 1942 écrit : « Le 16 juillet, les Boches aidés par la police française et par des gendarmes dont nous avons les noms, firent une rafle monstre de familles juives. » Combat, du même mois, écrit : « Tous les Juifs, nés hors de France, ont été arrêtés les 16 et 17 juillet, sans considération d'âge, de sexe, de santé. On séparait l'époux de l'épouse, les enfants de leurs parents. ».
La photo du camp de Beaune-la-Rolande et son gendarme à képi, longtemps
censurée
.
Ce qu'il reste uniquement, ce sont des dessins du déporté Georges Horan publiés en 1945, notamment celui-ci dénommé « au seuil de l'enfer juif ». On y voit les tout-petits arrivant des camps du Loiret à la gare du Bourget-Drancy, entre des haies de gendarmes disproportionnées, pour être transférés d'une horreur à l'autre. Drancy ultime station avant l'abattoir industriel d'Auschwitz... DR.
Les archives administratives ont été purgées délibérément.
Un décret du 6 décembre 1946 ordonne la destruction de "tous les documents fondés sur des distinctions d’ordre racial entre Français" . Presque tous les acteurs français du Vel d'hiv de 1942 ont été grâciés ou amnistiés quand ils ont été inquiétés ce qui est loin d'être la règle. La purge des hautes sphères de l'Etat n'a jamais eu lieu, comme l'aura établi l'historien (américain) Paxton. Le cas de Maurice Papon qui rafle en Gironde et deviendra ministre est exemplaire ; celui de René Bousquet, secrétaire général de la police de Vichy, tout autant. .
Le Vel d'hiv, lui-même, est rasé en 1959
laissant place ironiquement jusqu'en 2007 aux services de la DST, Direction de la surveillance du territoire (à nouveau la gestion des « ennemis intérieurs »), puis s'installent les services des ressources et des compétences de la police jusqu'en 2012..
Dans ces années, des suppressions et des substitutions ont été opérées.
Au 58, rue Crozatier, une plaque rappelait les familles juives qui vivaient là... puis elle a été retirée. On pourrait d'ailleurs en couvrir tout le XIè et le XXè arrondissements, mais c'est mauvais pour l'immobilier. On se contente d'en mettre dans les écoles, rappelant au moins ainsi, la mort des enfants. .
Durant les « Trente glorieuses »,
on ne veut pas entendre parler de la déportation, de la collaboration... Le documentaire de Marcel Ophuls, « Le chagrin et la pitié », réalisé en 1969, est ainsi censuré jusque 1981. Le court métrage Nuit et brouillard.(1956) est censuré jusqu'à ce que Alain Resnais accepte de faire disparaître, un képi de gendarme au camp de Beaune-la-Rolande. Il sera masqué à la gouache jusqu'en 1997. Concernant la rafle du vel d'hiv, les livres populaires d'histoire (André Castelot, Alain Decaux) et les manuels scolaires l'attribuent... à la Gestapo, jusqu'au début des années 80..
A la fin des années 60,
quand Claude Lévy et Paul Tillard mènent leur formidable enquête qui fracassera le silence, le ministère des Anciens combattants refuse de communiquer la liste des victimes des 16 et 17 juillet 1942. Le 20 septembre 1966, il écrit même: « les informations qui figurent sur ces documents ne peuvent qu'être utilisées à des fins administratives, et ne constituent pas la documentation historique que vous recherchez. ».
Plus encore, Claude Lévy et Paul Tillard constatent en 1967
: « de l'autre côté, celui de l'administration et des corps qui participèrent aux arrestations, gendarmerie et police municipale, nous avons trouvé porte close. » Et ils prophétisent : « Il nous a même semblé que lorsque les archives officielles seront ouvertes aux historiens et aux chercheurs, cinquante ans après les événements, bien des documents n'y seront plus ». Heureusement, ce n'est pas tout à fait le cas. Ainsi Laurent Joly vient pour la toute première fois d'accéder à des sources policières..
A Beaune-la-Rolande, le camp a laissé la place à un lycée agricole.
A Pithiviers, l'extension de la ville a tout gommé. A Drancy, cas extraordinaire, le camp en béton a terminé d'être aménagé après la guerre. Les HBM ("habitations bon marché") non terminées où les Juifs furent enfermés sont devenues des HLM (habitations à loyer modéré). Aujourd'hui encore, l'ex-camp est habité sous le nom de Cité de la "Muette". Qui sait qu'il y réside parmi les fantômes d'Auschwitz? Tout le monde, par la force des choses. Désormais, des faux rails et un wagon SNCF de déportation trônent dans l'ancienne cour, pour rappeler l'enfer concentrationnaire. .
L'histoire repose donc sur les témoignages
(voir
ici
Heureusement beaucoup ont été enregistrés. Mais les témoignages posent des problèmes spécifiques. Boris Cyrulnik a donné une intéressante conférence sur le sujet et particulièrement sur le thème de la reconstruction, du déni, du refoulement ou du clivage,
ici
à 29'40 .
Veldhiv.org fait donc appel aux internautes.
Avez-vous des courriers, photos, dessins ou tout autre document historique, sur le Vel d'hiv de 1942, depuis les centres de rassemblement jusqu'à Drancy, ou même Auschwitz, permettant recoupements et éclairages, aussi bien du côté internés que du côté forces de l'ordre ? Si vous avez des documents, prenez contact en utilisant ce mail .
veldhiv.org@gmail.com
(écrire en français, en anglais ou en allemand)..
Denis B.