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Police : un déshonneur qui ne passe pas
« Une fois de plus, je tiens à rappeler que, le 14 octobre 1944, le général De Gaulle décorait collectivement la police parisienne de la fourragère rouge [Légion d'honneur]. Sans doute pour féliciter ce corps d’élite d’être entré en Résistance le 19 août 1944, en s’emparant de la préfecture de police. Comment oublier que nombre de ces policiers avaient participé à toutes les rafles... »
Maurice Rajsfus, rescapé de la rafle Il n'y a pas eu d'épuration sérieuse dans les forces de l'ordre: des sanctions dérisoires et seulement pour ceux qui avaient fait du zèle: arrêter, par exemple, des Juifs qui n'étaient pas sur leurs fiches (1).
Pour mieux comprendre ce qui s'est passé à la Libération et pourquoi la police qui servait Vichy la veille, n'a pas même été inquiétée mais a été "félicitée", il faut écouter la fin du célèbre discours de De Gaulle « Paris libéré », du 25 août 1944, qui est le plus souvent ignorée. Elle est déjà entièrement consacrée à la « réconciliation nationale ». L'unité de « tous les fils et toutes les filles » de la nation est un « devoir de guerre ». Ne connaîtront « la rigueur des lois » que « quelques malheureux traîtres ».
Un coup d'éponge magique
Le soutien des forces de l'ordre est effectivement vital pour le général De Gaulle, face au chaos de la Libération, face à la crainte d'une prise de pouvoir communiste dans diverses régions, et face à la nécessité de prouver le bon fonctionnement de l'Etat aux alliés pour justifier une France autonome légitime (qui ne doit pas être gérée par les Américains).
« Ce n'était que des Juifs étrangers (…/...) J'ignorais qu'ils étaient déportés et tout ce qu'on leur faisait en Allemagne », explique un dénommé Lhommeau. « Si j'avais refusé, on me remettait en tenue (…/...) avec une sanction sans doute », plaide un Dolléans.
Un effet paradoxal sur l'encadrement
Il y a pire : les policiers les plus actifs dans les rafles de l'Occupation seront sans doute plus promus au final, que les autres, et seront pour une génération l'encadrement de ce corps d'Etat. Pourquoi ? Tout d'abord parce que la commission d'épuration de la police sera confiée aux policiers eux-mêmes (et les éventuels « éloignés », pour les cas les plus graves ou voyants, seront fréquemment réintégrés en 1947 et 1948). Puis, trois raisons se conjuguent.
D'abord, les policiers les plus impliqués dans la collaboration seront les premiers à être "résistants de la dernière heure" pour la Libération de Paris : ils seront motivés « à la mesure de la virginité qu'ils veulent se refaire », explique Maurice Rajsfus. Ces états de service remarquables dans la Résistance leur serviront ensuite, tout comme les noirs secrets qu'ils partagent avec leur hiérarchie et la solidarité avec les collègues impliqués dans les rafles ou la politique de Collaboration.
Ensuite, quand la police sera purgée après 1947 de ses éléments communistes, les anciens Collabos pourront se prévaloir officieusement d'un anti-communisme foncier, non seulement parce qu'ils auront effectivement pourchassé les communistes sous l'Occupation mais parce que l'équation « Juif = révolutionnaire marxiste » reste toujours vivace (le célèbre judéo-bolchévik).
Enfin, et plus largement, parce que la docilité, l'abnégation, et l'efficacité qu'ils ont prouvées dès les années noires seront des valeurs précieuses et recherchées à l'heure de la Guerre Froide (dès 1947) puis de la Guerre d'Algérie (à partir de 1954). On ne se posera pas de questions quand en 1961, on jettera des manifestants arabes pacifistes à la Seine, sous les ordres d'un Maurice Papon, lui-même criminel collabo, promu préfet de police de Paris malgré ses rafles à Bordeaux.
Aucun policier n'a démissionné à cause de la rafle. Il n'y a pas eu non plus de désobéissance franche contrairement au cas extrordinaire de Nancy où le service des étrangers a fait échouer presque totalement la rafle. « Les policiers sont attachés à leur métier, leurs petits avantages, leur avancement, » explique Laurent Joly, « risquer une rétrogadation, la sanction-type en cas de refus d'obéir, est vécu comme insupportable. » Dans les dossiers d'épuration, après la Libération, « on a parfois l'impression à les entendre que ce sont eux qui sont à plaindre. »
Gardiens de la paix, 1941. Lors de la rafle du Vel d'hiv, les équipes de deux dotées d'une dizaine de fiches domiciliaires comprenaient un inspecteur en civil et un gardien de la paix qui ne se connaissaient pas, afin d'éviter qu'ils ne se concertent. « Les gens ont été arrêtés par ceux qui étaient censés les protéger. Le gardien de la paix, c'était vraiment le personnage débonnaire dans le paysage parisien de l'époque. Et donc c'est la France. Ce qui explique à quel point les victimes avaient besoin d'entendre : « c'est la France qui a fait », explique Laurent Joly.
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De nos jours, visite obligatoire au Mémorial de la Shoah
Des policiers qui réfléchissent, qui ont un esprit critique, qui ont un sens citoyen de leur mission, qui ne se réfugient pas derrière un « on ne pouvait pas rentrer les mains vides », « c'était les ordres », puis un ultime « d'autres l'auraient fait à notre place »... ce n'était pas un impératif de la fonction jusqu'aux années 70 et 80 qui marquent l'inflexion vers une police plus moderne.
Aujourd'hui, les policiers visitent dans le cadre de leur formation le Mémorial de la Shoah... Nous sommes à des années-lumières de l'Après-Guerre, même si l'on peut toujours s'interroger sur la fonction policière elle-même, répercutant docilement des décisions par nature politiques (missions de la police aux frontières, question du contrôle au faciès, répression des manifestations et violence légitime etc). Sur le fond, la question du « devoir de désobéissance » reste malaisée, a fortiori pour des gendarmes, qui sont militaires donc plus encore tenus aux ordres.
Les forces de l'ordre actuelles le referaient-elles ? C'est le sujet que lègue Lazare Pytkowicz, évadé du Vel d'hiv et rescapé des persécutions juives : « On peut bien sûr s'interroger et tenter de comprendre comment des hommes qui étaient au service de la IIIè République, qui ont, pour la plupart, commencé leurs fonctions avant l'Occupation, qui ont servi ces trois mots « Liberté, Egalité, Fraternité », ont pu ainsi oublier les traditions françaises et accepter ainsi un tel travail... »
Denis B.
(1) « Avoir arrêté des Juifs lors de la rafle du Vel d'hiv ne conduit à des sanctions que lorsqu'on s'est vraiment très mal comporté. (NDR : L'ordonnance du 28 novembre 1944 stipule qu'il n'y a « ni crime, ni délit », lorsqu'on s'est contenté d'obéir aux ordres.) Il n'y a qu'une poignée de policiers révoqués, » explique Laurent Joly qui a dépouillé 4.000 dossiers d'épurations – 700 concernant les persécutions juives, mais 30 seulement la Grande Rafle du Vel d'hiv. Parmi les inspecteurs, un seul est révoqué. « Parfois on est un peu frappé par le décalage entre l'énormité de ce qui est reproché et le côté dérisoire des sanctions : une mise à pied de deux mois, un retard d'avancement de trois mois... »
Jusqu'en 2012, la police occupe l'emplacement-même du Vel d'hiv, là-même où elle avait parqué hommes, femmes, enfants, malades et vieillards! D.R.
Des résultats très variables selon le zèle policier
Le comportement de la police sera variable pendant la rafle de 1942. Ici, on force les portes avec un pied-de-biche, là, on frappe et, sans réponse, on s'en va. Ici, on rafle tout le monde qu'importent les exemptions prévues, là, on laisse ceux qui ne sont pas sur les fiches et on leur confie les enfants. Ici, tout est réglé en cinq minutes, là, on détourne le regard puis l'on dit qu'on repassera dans deux heures ménageant un temps précieux pour s'enfuir. Ce qui, conjugué avec la pression des commissaires d'arrondissement, explique, selon Laurent Joly, des contrastes parfois très forts dans les taux de « réussite » : 20% d'arrestations par rapport aux fiches, au plus bas ,dans le 2ème arrondissement, 60% au plus haut dans le 12ème. Explication : le commissaire du 2ème, M. Jehanno, a permis en informant des Juifs, la création d'un « véritable service de prévention » des arrestations. A l'inverse, le commissaire du 12ème était un « fou furieux » de l'arrestation, allant lui-même sur le terrain pour mettre la pression à ses hommes. Au final, le taux moyen de « réussite » de la rafle est d'environ 33%, alors que 90% était visé.
Le cas Zemmour... Vichy n'a protégé aucun Juif !
Vichy a sacrifié les Juifs étrangers pour sauver les Juifs français ? Cette rengaine entamée aux procès de Laval et du Maréchal Pétain est re-popularisée par Eric Zemmour. Elle semble vraie au regard des statistiques mais elle est fausse au regard des faits. Une chose est vraie tout d'abord, Vichy a bel et bien condamné les Juifs étrangers. Ceci par idéologie et par raison d'Etat, dans un contexte, celui de juillet 1942, où l'Allemagne apparaît encore victorieuse sur tous les fronts et destinée à dominer sur toute l'Europe.
L'idéologie, c'est se débarrasser d'un poids jugé insupportable par antisémitisme et xénophobie (en y ajoutant pêle-mêle les accusations de bolchévisme, gaullisme, marché noir, d'impossible intégration) et la mythologie d'une nécessaire « révolution nationale ». Les Juifs étrangers sont les derniers des derniers, les moins « désirables », un poids intolérable pour la société.
La raison d'Etat, ce sont les contreparties attendues des négociations avec le Reich pour la rafle si la police française s'en charge : moyens accrus, groupe mobile de réserve lourdement armé dans chaque région, école de police, respect de la voie hiérarchique policière par les Allemands, dissolution en principe des forces de police rivales (police aux Questions juives ; gestapo française)...
1942 : quand Vichy croyait à la victoire allemande et à un partenariat
C'était un choix politique, celui d'une Collaboration délibérée, pleine et entière, volontaire, dans l'intention d'être un partenaire et non un subordonné, afin, un jour, de remplacer l'armistice de 1940 par un véritable accord de paix redonnant son rang à la France et réglant les questions en suspens : frontières, colonies, retour du million et demi de prisonniers, amélioration des conditions de la vie quotidienne, suppression de la ligne de démarcation... (Marrus et Paxton, Vichy et les Juifs)
A Drancy, en 1942. Nombre de convois et de déportés par année
1942 : 42 000 en 43 convois
1943 : 17 000 en 17 convois
1944 : 15 000 en 14 convois
Photo DR.
1942 est le sommet de cette politique. En moins de quatre mois, du 17 juillet au 11 novembre, 36.000 Juifs, très majoritairement étrangers ont été déportés à Auschwitz. C'est à très peu de chose la moitié du total des déportations françaises. La rafle du Vel d'hiv correspond à elle-seule à un sixième des déportations totales.
En 1943, le contexte change. Vichy avait fait un double pari : une opinion publique favorable, ou indifférente, et un Reich vainqueur. Les deux paris sont perdus, l'Allemagne connaît de sérieux revers et la population française n'est plus indifférente.
Le port de l'étoile jaune en Zone occupée est déjà un premier basculement, selon Marrus et Paxton (Vichy et les Juifs), mais plus encore la rafle du Vel d'hiv et les déportations de la Zone sud qui l'accompagnent.bouleversent l'opinion. « Nombre de personnes sont émues voire choquées qu’on arrête des femmes et des enfants. Ce basculement dans la persécution physique provoque alors des réactions de désapprobation et aussi d’entraide, » explique Jacques Semelin, enseignant à Sciences Po sur les génocides et les violences et auteur de La survie des Juifs, 1940-1944
La rafle est le point de bascule : revirement de l'opinion publique
Dès le 17 juillet 1942, un rapport des Renseignements généraux souligne l'évolution de l'opinion publique face aux rafles des familles : « Bien que la population française soit, dans son ensemble et d'une manière générale, assez antisémite, elle n'en juge pas moins sévèrement ces mesures qu'elle qualifie d'inhumaines. » Les différentes églises françaises amplifient ce mouvement profond de l'opinion (à l'époque 40% de la population va à la messe le dimanche). La crainte de l'opinion modèrera Vichy même si des rafles et déportations se produiront jusqu'en 1944.
L'archevêque Saliege à Toulouse proteste contre les déportations par une lettre amplement lue et reproduite qui a un profond impact sur les catholiques : « les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes. Tout n'est pas permis contre ces hommes, contre ces femmes, contre ces pères et mères de famille. » Puis c'est au tour de l'évêque de Montauban et du Primat des Gaules de protester.
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S'il y a eu moins de Juifs français déportés que de Juifs étrangers (respectivement 24.000, contre 50.000 (1)), c'est que leur persécution a commencé plus tard, à quelques exceptions près - (dont les 734 victimes françaises de la rafle des notables en 1941).
Laval n'a rien obtenu pour les Juifs nationaux sinon un « sursis » ; il « ne pouvait guère se faire d'illusion sur ce point, car les autorités allemandes avaient répété avec insistance que tous les Juifs étaient destinés à être déportés, » écrivent Marrus et Paxton.
« Ce qui a entravé la « solution finale » en France, c'est la prise en compte par Heinrich Himmler lui-même [NDR : le chef de toutes les polices allemandes dont la Gestapo], de l'émotion de l'opinion française relayée par plusieurs évêques, à la suite des rafles de l'été 1942, » écrit Serge Klarsfeld.
Vichy a condamné les Juifs étrangers mais n'a sauvé personne
Pourquoi y eut-il au final une plus forte proportion globalement de Juifs survivants en France qu'ailleurs ? Pas à cause de Vichy. « Les trois quarts [des Juifs] restants doivent essentiellement leur survie à la sympathie sincère des Français, ainsi qu'à leur solidarité agissante à partir du moment où ils comprirent que les familles juives tombées entre les mains des Allemands étaient vouées à la mort, » souligne Serge Klarsfeld. « C'est cette attitude, en fin de compte, qui constitue la raison essentielle d'une proportion de survivants bien plus considérable, » confirme de son côté Léon Poliakov (Bréviaire de la haîne).
« Des anonymes apportent leur aide aux persécutés : le policier, la concierge, l’instituteur, le passant… C’est une solidarité des petits gestes qui s’efforce de protéger les Juifs d’une arrestation qui leur sera fatale. On en a de multiples témoignages, et l’occupant le remarque de même que les services de Vichy, » explique Jacques Semelin. « Des individus, sans nécessairement se connaître entre eux, et sans instruction préalable, portent spontanément assistance à d’autres individus que, le plus souvent, ils ne connaissent pas davantage, mais dont ils perçoivent la situation de détresse – du moins de grande vulnérabilité. » Dans ce contexte de survie, les Juifs français sont néanmoins avantagés : ils ont un réseau de relations plus large (dont d'éventuels Juifs non arrêtables), ils parlent bien français, ils ont, sans doute aussi, plus d'argent.
Eric Zemmour : à la recherche de nouveaux indésirables
L'on peut néanmoins retenir un fait en faveur de Vichy, mais il est à double tranchant. En 1943, alors que toute la France est désormais occupée et que Vichy ne dispose plus d'atouts, la loi de déchéance de la nationalité pour tous les naturalisés d'après 1927 n'est pas promulguée. Ainsi Vichy fait preuve de marge de manœuvre (pour un texte qui était pourtant promis en 1942)... et montre rétrospectivement à quel point précédemment la collaboration était délibérée.
Réhabiliter Pétain, et donc Vichy, c'est bâtir un pont entre l'extrême droite xénophobe et la droite républicaine, afin de purger la France de nouveaux indésirables.
L'insistant désir de réhabilitation de Pétain comme « bouclier des Juifs français » par Eric Zemmour a un double objectif, selon Laurent Joly (La falsification de l'histoire) réunir enfin la droite et l'extrême droite par delà la fracture de la 2de Guerre mondiale, et rétablir une « raison d'Etat » indispensable à un nouveau projet politique xénophobe et, cette fois, antimusulman : renvoi de deux millions d'immigrés, déchéance de la nationalité pour les criminels d'origine étrangère, suppression des allocations familiales pour les étrangers, abolition du droit du sol... « Il est clair pour Eric Zemmour que Vichy n'a pas commis de crime en contribuant à la Shoah, mais « a sauvé les Juifs français » (…/...) et accompli, veut-il croire, la besogne de tout Etat digne de ce nom : se débarrasser de ses étrangers indésirables. »
« En vérité, ces faux réfugiés sont des vrais clandestins : ils forcent l'entrée de l'Europe qui ne les a pas prier de venir travailler dans ses pays... (…/...) Et un beau jour, le temps aura passé, ils seront régularisés. Et un jour encore plus beau, ils seront naturalisés. Alors, ils feront venir leurs enfants ou leurs parents, leurs frères et leurs sœurs et leur jeune épouse qu'ils auront ramenés du bled. Un jour prochain, qu'Allah bénisse ce jour, ils seront l'armée des croyants qui islamisera l'Europe. » Eric Zemmour, La France n'a pas dit son dernier mot. « Aujourd'hui, parmi nous, se sont glissés de nouveaux Français que nous n'avons pas la force d'assimiler (…/...) et qui veulent nous imposer leur façon de sentir. Ce faisant, ils croient nous civiliser ; ils contredisent notre civilisation propre. Le triomphe de leur manière de voir coïnciderait avec la ruine réelle de notre patrie. » Zemmour ? Non, Maurice Barrès, écrivain antisémite...1900. Rien de neuf sous le soleil.
« J’estime que au moins 200 000 Juifs sont toujours en vie en France en 1944, soit près de 90% de Juifs français et 60% de Juifs étrangers, des taux considérables de survie au regard des hécatombes dans d’autres pays, » Jacques Semelin, Lire également Vichy n'a pas sauvé les Juifs , par Annette Wieviorka Voir Éric Zemmour met « au défi » les historiens de le contredire sur Vichy, ils le prennent au mot
Paul R.
(1) Sur les 80 000 victimes de la Shoah en France, 55 000 sont des Juifs étrangers et 25 000 des Juifs de nationalité française. 76 000, dont environ 11 400 enfants (2 000 de moins de 6 ans), ont été déportés, dont 69 000 à Auschwitz. Seuls 2 500 ont survécu. 3 000 sont morts dans les camps d’internement français. 1 000 sont exécutés ou abattus sommairement en France. Mémorial de la Shoah, repères.
Une rafle partiellement ou totalement évitable
Le « sacrifice » des Juifs étrangers, dont la rafle du vel d'hiv, était-il une fatalité inévitable ? Non, malgré toute leur pression, les autorités allemandes (et leurs forces trop peu nombreuses) n'auraient pu rien faire si Vichy avait refusé le concours de sa police, soutient Laurent Joly. C'est d'ailleurs ce que fit le maire de Bruxelles avec succès, refusant le concours de sa police en invoquant la Convention de La Haye (selon laquelle le vainqueur doit respecter les droits de la famille, les convictions religieuses et l'exercice des cultes). Marrus et Paxton divergent : selon eux, les Allemands auraient pu mener la rafle seuls mais « les chiffres auraient été moindres. »
La rafle par le prisme des Justes
Il est facile de se dire rétrospectivement que l'on aurait été un Juste, sauvant des Juifs en 1942. La probabilité est que non. On n'en trouve qu'une centaine reconnus par Yad Vashem, en relation avec la Grande Rafle pour 2,8 millions de Parisiens (en anglais, ici en français ). Il ne faut pas se tromper : les Justes sont ultra-minoritaires. Non seulement bien des Français sont antisémites, mais l'ultra-majorité est indifférente, tâchant de survivre aux privations tout en se tenant à distance de la terreur. Reste une source d'inspiration pour l'avenir.
Il existe une peur tétanisante d'aider des Juifs, et plus encore de les cacher. En cachant ou en aidant des Juifs, on risque la déportation, la mort, la torture. Pourtant, certains aident, ne serait-ce qu'un jour décisif , Cachant 23 Juifs au total, Louis Melas finira par être recherché par la Gestapo et devra s'enfuir... Cette terreur voulue est mise en œuvre par la police et la gendarmerie françaises: les descentes sont ainsi incessantes dans l'immeuble des Rudolph soupçonnés à juste titre suite à la rafle du Vel d'hiv (jusqu'à neuf Juifs se cachent dans des faux-plafonds, des fosses improvisées...) Et cacher des Juifs, c'est une chose, mais il faut encore les nourrir en utilisant (avec de gros risques) leurs cartes de rationnement.
Prendre la rumeur sérieux
Comment échappe-t-on à la rafle? Tout d'abord en prenant les bruits et rumeurs au sérieux, et en se cachant dès le 15 juillet. Parfois hélàs, seul un enfant est caché, on pense sauver les autres membres de la famille le lendemain... mais il sera trop tard. Les arrestations ont été déclenchées. Autre cas, seule la fille est sauvée, sa mère a refusé de quitter ses meubles et son appartement. D'où viennent les rumeurs ? De partout : des voisins, de la famille, des relations, des résistants, des communistes, des groupes juifs activistes... Le 15 juillet, veille de la rafle, ces rumeurs bourdonnent partout. Mais à lire les récits des Justes, on découvre que très souvent leur origine se trouve dans la police elle-même. Et son image déplorable à cause de l'exécution de la rafle devrait être tempérée de toutes ces initiatives individuelles. Ainsi Charles Demoulin, officier de police a prévenu et caché les Sztern qu'il connaissait à peine, (à quatre jours de la Libération, il fut capturé et exécuté par les Allemands). Plus rarement (deux cas répertoriés), les fuites viennent de gendarmes.
Sauver des Juifs en 1942, c'est aller contre la Collaboration, à la fois contre Pétain et Hitler (ici tous deux lors de la poignée de main d'octobre 1940 à Montoire), c'est se dresser contre tout un système de terreur qui domine la société. Les « Justes » affirment pourtant que « ce qu'ils ont fait, n'importe qui l'aurait fait ». Cela leur semblait naturel, simplement humain. A noter : les Justes avaient souvent un engagement humanitaire préeexistant. Photo D.R.
Réagir dans l'instant
A l'arrivée de la police, les concierges souvent décriés comme informateurs de police sont parfois héroïques. Si certains montrent les caches au grenier ou à la cave, d'autres, beaucoup moins nombreux, donnent l'alarme aux Juifs, les clés de logements vides, prennent un enfant à charge ou carrément des familles entières (jusqu'à quinze Juifs cachés dans une petite loge). De rares voisins se montrent exemplaires, recueillent les enfants la veille de la rafle ou au petit matin, jusqu'à pretexter avec aplomb devant la police même qu'il s'agit de leur propre enfant.
Cacher durablement
Des "petites" gens, en situation déjà difficile, partagent une pièce unique ou sauvent des familles entières après la rafle. En effet, tout n'est pas joué si l'on a échappé aux arrestations à domicile le 16 juillet, on se retrouve fréquemment à la rue, à la merci du premier contrôle , le 17 ou le 18. Revenir à son appartement pour y prendre quelques affaires ou seulement même à manger est un très grand risque, même après une semaine. Les policiers ratissent les rues, surveillent les appartements, reviennent, profitent des dénonciations... Parfois, on restera caché sans sortir jusqu'à la fin de la guerre. Très souvent, on attend une ouverture pour partir en Zone libre. Neuf Juifs étrangers s'entassent ainsi dans une blanchisserie avant de pouvoir partir.
Des Justes de toute condition
Les catégories sociales s'effacent pour partie dans le sauvetage des Juifs. Parmi l'élite, le président d'honneur de Gaz de France, Edouard Marsat se distingue comme Juste, tout comme le patron d'une grande entreprise de cosmétiques, ou Gabriel Cavanihac, haut fonctionnaire. Des petits patrons sauvent aussi leurs employés. Souvent, c'est l'inverse, c'est l'employée qui sauvent les patrons juifs ou leurs enfants... jusqu'à la femme de ménage qui sauve ses employeurs. Des sœurs se distinguent, particulièrement pour le sauvetage des enfants : Soeur Clothilde (Mlle Clothilde Regereau) prend en charge tous les enfants Muller (voir vidéo en p.1) ; la Mère Marie Francia (Mlle Gabrielle de Linarès) sauve une jeune fille de 17 ans et sa sœur.. Suite au coup de tonnerre de la Grande Rafle, de véritables filières d'évasion d'enfants (par centaines!) se développent : Lucie Chevalley-Sabatier, assistante sociale, prendra en charge 500 enfants juifs à partir de l'été 1942 - tous survécurent. Joseph Migneret, directeur d'une école communale du IVè arrondissement, cache chez lui pendant deux ans sa jeune élève Sarah, et procure de faux papiers à de nombreux Juifs... Marie-Elvire Flament, âgée d’une soixantaine d'années, également assistante sociale à Paris se bat pour trouver des familles d'accueil à la campagne (prêtes à s'occuper d'enfants mais... moyennant finances !) Elle fournissait de faux papiers et des cartes d'alimentation. Elle sauve en particulier, après le 16 juillet, les deux sœurs Tsatskin dont elle paie elle-même en partie les frais de scolarité (élevés) dans un pensionnat protestant.
Denis B.
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