« Une fois de plus, je tiens à rappeler que, le 14 octobre 1944, le général De Gaulle décorait collectivement la police parisienne de la fourragère rouge [Légion d'honneur]. Sans doute pour féliciter ce corps d’élite d’être entré en Résistance le 19 août 1944, en s’emparant de la préfecture de police. Comment oublier que nombre de ces policiers avaient participé à toutes les rafles... »
Maurice Rajsfus, rescapé de la rafle
Il n'y a pas eu d'épuration sérieuse dans les forces de l'ordre: des sanctions dérisoires et seulement pour ceux qui avaient fait du zèle: arrêter, par exemple, des Juifs qui n'étaient pas sur leurs fiches (1).
Pour mieux comprendre ce qui s'est passé à la Libération et pourquoi la police qui servait Vichy la veille, n'a pas même été inquiétée mais a été "félicitée", il faut écouter la fin du
célèbre discours
de De Gaulle « Paris libéré », du 25 août 1944, qui est le plus souvent ignorée. Elle est déjà entièrement consacrée à la « réconciliation nationale ». L'unité de « tous les fils et toutes les filles » de la nation est un « devoir de guerre ». Ne connaîtront « la rigueur des lois » que « quelques malheureux traîtres ».
Le soutien des forces de l'ordre est effectivement vital pour le général De Gaulle, face au chaos de la Libération, face à la crainte d'une prise de pouvoir communiste dans diverses régions, et face à la nécessité de prouver le bon fonctionnement de l'Etat aux alliés pour justifier une France autonome légitime (qui ne doit pas être gérée par les Américains).
« Ce n'était que des Juifs étrangers (…/...) J'ignorais qu'ils étaient déportés et tout ce qu'on leur faisait en Allemagne », explique un dénommé Lhommeau. « Si j'avais refusé, on me remettait en tenue (…/...) avec une sanction sans doute », plaide un Dolléans.
Un effet paradoxal sur l'encadrement
Il y a pire : les policiers les plus actifs dans les rafles de l'Occupation seront sans doute plus promus au final, que les autres, et seront pour une génération l'encadrement de ce corps d'Etat. Pourquoi ? Tout d'abord parce que la commission d'épuration de la police sera confiée aux policiers eux-mêmes (et les éventuels « éloignés », pour les cas les plus graves ou voyants, seront fréquemment réintégrés en 1947 et 1948). Puis, trois raisons se conjuguent.
D'abord, les policiers les plus impliqués dans la collaboration seront les premiers à être "résistants de la dernière heure" pour la Libération de Paris : ils seront motivés « à la mesure de la virginité qu'ils veulent se refaire », explique Maurice Rajsfus. Ces états de service remarquables dans la Résistance leur serviront ensuite, tout comme les noirs secrets qu'ils partagent avec leur hiérarchie et la solidarité avec les collègues impliqués dans les rafles ou la politique de Collaboration.
Ensuite, quand la police sera purgée après 1947 de ses éléments communistes, les anciens Collabos pourront se prévaloir officieusement d'un anti-communisme foncier, non seulement parce qu'ils auront effectivement pourchassé les communistes sous l'Occupation mais parce que l'équation « Juif = révolutionnaire marxiste » reste toujours vivace (le célèbre judéo-bolchévik).
Enfin, et plus largement, parce que la docilité, l'abnégation, et l'efficacité qu'ils ont prouvées dès les années noires seront des valeurs précieuses et recherchées à l'heure de la Guerre Froide (dès 1947) puis de la Guerre d'Algérie (à partir de 1954). On ne se posera pas de questions quand en 1961, on jettera des manifestants arabes pacifistes à la Seine, sous les ordres d'un Maurice Papon, lui-même criminel collabo, promu préfet de police de Paris malgré ses rafles à Bordeaux.
Aucun policier n'a démissionné à cause de la rafle. Il n'y a pas eu non plus de désobéissance franche contrairement au cas extrordinaire de Nancy où le
service des étrangers
a fait échouer presque totalement la rafle. « Les policiers sont attachés à leur métier, leurs petits avantages, leur avancement, » explique Laurent Joly, « risquer une rétrogadation, la sanction-type en cas de refus d'obéir, est vécu comme insupportable. » Dans les dossiers d'épuration, après la Libération, « on a parfois l'impression à les entendre que ce sont eux qui sont à plaindre. »
Gardiens de la paix, 1941. Lors de la rafle du Vel d'hiv, les équipes de deux dotées d'une dizaine de fiches domiciliaires comprenaient un inspecteur en civil et un gardien de la paix qui ne se connaissaient pas, afin d'éviter qu'ils ne se concertent. « Les gens ont été arrêtés par ceux qui étaient censés les protéger. Le gardien de la paix, c'était vraiment le personnage débonnaire dans le paysage parisien de l'époque. Et donc c'est la France. Ce qui explique à quel point les victimes avaient besoin d'entendre : « c'est la France qui a fait », explique Laurent Joly.
Photo DR.
De nos jours, visite obligatoire au Mémorial de la Shoah
Des policiers qui réfléchissent, qui ont un esprit critique, qui ont un sens citoyen de leur mission, qui ne se réfugient pas derrière un « on ne pouvait pas rentrer les mains vides », « c'était les ordres », puis un ultime « d'autres l'auraient fait à notre place »... ce n'était pas un impératif de la fonction jusqu'aux années 70 et 80 qui marquent l'inflexion vers une police plus moderne.
Aujourd'hui, les policiers visitent dans le cadre de leur formation le Mémorial de la Shoah... Nous sommes à des années-lumières de l'Après-Guerre, même si l'on peut toujours s'interroger sur la fonction policière elle-même, répercutant docilement des décisions par nature politiques (missions de la police aux frontières, question du contrôle au faciès, répression des manifestations et violence légitime etc). Sur le fond, la question du « devoir de désobéissance » reste malaisée, a fortiori pour des gendarmes, qui sont militaires donc plus encore tenus aux ordres.
Les forces de l'ordre actuelles le referaient-elles ? C'est le sujet que lègue Lazare Pytkowicz, évadé du Vel d'hiv et rescapé des persécutions juives : « On peut bien sûr s'interroger et tenter de comprendre comment des hommes qui étaient au service de la IIIè République, qui ont, pour la plupart, commencé leurs fonctions avant l'Occupation, qui ont servi ces trois mots « Liberté, Egalité, Fraternité », ont pu ainsi oublier les traditions françaises et accepter ainsi un tel travail... »
Denis B.
(1) « Avoir arrêté des Juifs lors de la rafle du Vel d'hiv ne conduit à des sanctions que lorsqu'on s'est vraiment très mal comporté. (NDR : L'ordonnance du 28 novembre 1944 stipule qu'il n'y a « ni crime, ni délit », lorsqu'on s'est contenté d'obéir aux ordres.) Il n'y a qu'une poignée de policiers révoqués, » explique Laurent Joly qui a dépouillé 4.000 dossiers d'épurations – 700 concernant les persécutions juives, mais 30 seulement la Grande Rafle du Vel d'hiv. Parmi les inspecteurs, un seul est révoqué. « Parfois on est un peu frappé par le décalage entre l'énormité de ce qui est reproché et le côté dérisoire des sanctions : une mise à pied de deux mois, un retard d'avancement de trois mois... »
Jusqu'en 2012, la police occupe l'emplacement-même du Vel d'hiv, là-même où elle avait parqué hommes, femmes, enfants, malades et vieillards! D.R.
Des résultats très variables selon le zèle policier
Le comportement de la police sera variable pendant la rafle de 1942. Ici, on force les portes avec un pied-de-biche, là, on frappe et, sans réponse, on s'en va. Ici, on rafle tout le monde qu'importent les exemptions prévues, là, on laisse ceux qui ne sont pas sur les fiches et on leur confie les enfants. Ici, tout est réglé en cinq minutes, là, on détourne le regard puis l'on dit qu'on repassera dans deux heures ménageant un temps précieux pour s'enfuir. Ce qui, conjugué avec la pression des commissaires d'arrondissement, explique, selon Laurent Joly, des contrastes parfois très forts dans les taux de « réussite » : 20% d'arrestations par rapport aux fiches, au plus bas ,dans le 2ème arrondissement, 60% au plus haut dans le 12ème. Explication : le commissaire du 2ème, M. Jehanno, a permis en informant des Juifs, la création d'un « véritable service de prévention » des arrestations. A l'inverse, le commissaire du 12ème était un « fou furieux » de l'arrestation, allant lui-même sur le terrain pour mettre la pression à ses hommes. Au final, le taux moyen de « réussite » de la rafle est d'environ 33%, alors que 90% était visé.